Termes et concepts abordés dans cette section:
Source d’énergie
Transmission d’énergie
Vibrateur primaire
Vibrateur résonant
Effuseur de son
Idiophone
Cordophone
Aérophone
1. Chambre à air
2. Chambre acoutisque
3. Bloc externe
4. Trous pour les doigts
5. Chanfrein
6. Arête de fendage
7. Effet de Bernouilli`
8. Effet latéral
Membranophone
Lignes nodales
9. Modes radiaux
10. Modes azimutaux
11. Timbres
Les instruments autochtones canadiens sont aussi raffinés et complexes que ceux qu’on retrouve ailleurs dans le monde. Il est probable que si un artisan autochtone et un luthier européen se rencontraient, ils se reconnaîtraient immédiatement. Où qu’ils soient, d’est en ouest et par delà les océans, qu’ils façonnent des tambours ou des flûtes, des archets ou des violons, les artisans ont toujours compris le bois, la peau, le tendon et l’âme spirituelle de leur propre communauté et ils ne font qu’un avec ces éléments.
L’instrument de musique
Dans le monde entier, les artisans travaillent avec cinq « ingrédients » de base. À partir de ces « ingrédients », ils donnent à leurs instruments leurs fonctionnalités les plus complexes.
La source d’énergie crée les sons. Pour un violon, un hochet, un tambour ou un arc musical, les muscles des bras constituent la source d’énergie. Dans le cas d’une flûte ou d’un sifflet, il s’agit de la bouche et des flux d’air.
La transmission d’énergie déplace l’énergie de la source d’énergie à l’instrument. Pour les violons et autres instruments apparentés, on utilise des archets. Dans le cas des arcs musicaux, on frappe les cordes à l’aide de bâtons. Quant aux tambours, on les frappe à l’aide de baguettes, ou avec les doigts ou les mains. Enfin, dans le cas des instruments à vent, on crée une colonne d’air et on utilise un dispositif de contrôle du débit comme une anche, une technique de vibration des lèvres ou un jet d’air que le joueur dirige à travers le trou d’embouchure.
Le vibrateur primaire transforme l’énergie humaine en son. Dans certains instruments, il s’agit de cordes. Pour les tambours, il s’agit de peaux d’animaux ou de membranes faites d’autres matériaux. Dans les instruments à vent, il s’agit du flux d’air lui-même.
Le vibrateur résonant interagit avec le vibrateur primaire pour augmenter certains tons et certains partiels harmoniques et ainsi renforcer le son musical. Les fréquences diffusées par le vibrateur primaire se déplacent dans le vibrateur résonant. Ces deux vibrateurs ont en commun certaines fréquences naturelles qui se renforcent mutuellement de manière constructive, ce qui rend le son non seulement plus musical, mais aussi plus fort.
Cette résonance n’augmente pas l’énergie (la loi de la conservation de l’énergie l’interdit), mais elle focalise les fréquences musicales et canalise cette même énergie. Le vibrateur résonant du violon est le corps en bois de l’instrument; celui du tambour est le volume d’air qui emplit le cadre et celui de la flûte est la colonne d’air dans le tube. Dans le cas de l’arc musical, la bouche elle-même est ce résonateur. L’ouverture et la fermeture de la bouche accentuent les sons que le joueur cherche à obtenir de la corde.
L’effuseur de son, qui détermine la façon dont le son rayonne hors de l’instrument, est le composant final. Dans la flûte, il s’agit des trous pour les doigts et du trou à l’extrémité. Avec l’arc musical, il s’agit de la bouche ouverte. Dans le cas du tambour, il s’agit de l’air environnant. Dans les violons de style européen, les effuseurs de son sont les trous dans le corps des violons.
Les quatre catégories d’instruments de musique
Les idiophones sont « simples ». Ils produisent des vibrations lorsque les musiciens jouent de ces instruments eux-mêmes. Dans cette catégorie, on retrouve les instruments de rythmique naturels comme les bûches creuses qu’on tape, les bâtonnets qu’on claque ou les peaux épaisses sur lesquelles on frappe. Il y a aussi les râpes (bâtons dentelés), les hochets, les bâtons de cèdre fendus que les Micmacs appellent ji’kmaqn et les caissons de percussion de la côte du Nord-Ouest.
Leurs sons sont strictement percussifs, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas harmoniques. Les divers partiels tonaux sont simplement des impulsions sonores. Cependant, les musiciens autochtones utilisent aussi des résonateurs idiophoniques naturels. Les paniers ou demi-gourdes inversés deviennent des vibrateurs résonants quand les musiciens en jouent. De plus, les trous pratiqués dans le sol et recouverts de planches de planches de bois, de métal ou de cuir peuvent amplifier les vibrations. Parmi les autres types d’idiophones, on retrouve des objets comme ceux que les danseurs attachent à leurs vêtements, comme des coquillages, des os ou des pièces de bois, qui sonnent lorsque les danseurs bougent. Plus récemment, des femmes autochtones se sont mises à coudre des cônes fabriqués à partir de boîtes de tabac en métal sur des robes à clochettes pour des danses de pow-wows.
Ce n’est que récemment que les musicologues ont reconnu que les musiciens autochtones avaient conçu divers instruments à cordes avant le contact avec les Européens. Parmi ces instruments, on retrouve l’arc musical. Il s’agit simplement d’une corde tendue fermement entre les deux extrémités d’un bâton plié. Comme nous l’avons vu plus haut, le musicien tient la corde contre sa joue pour envoyer les sons dans sa cavité buccale.
De plus, les Autochtones étirent un tendon sur l’arc de l’omoplate d’un caribou pour créer un violon à une corde. Le musicien joue de cet instrument avec un archet à tendon. Le tautirut des Inuits de l’Est pourrait être considéré comme une variante de la cithare ou de la fiðla. D’autres variantes très semblables existent dans les pays scandinaves du nord et dans les îles Orcades.
Plus tard, les artisans ont commencé à façonner des instruments à cordes en imitant ceux des marchands d’instruments et des trappeurs venus d’Europe. Il s’agit notamment d’instruments à cordes fonctionnant comme les violons et les guitares. Pour fabriquer ces instruments, les artisans attachent habituellement des cordes à deux points fixes aux extrémités d’un corps en bois ou en métal. Comme dans un violon ou une guitare, un chevalet transfère les vibrations dans un vibrateur résonant.
La longueur fixe d’une corde contrôle en partie la fréquence d’un cordophone. Cependant, les autres caractéristiques de la corde (sa tension et son épaisseur) permettent quand même au musicien de modifier les fréquences. Par exemple, une corde lourde vibre plus lentement qu’une corde légère. Si le musicien serre les cordes, qu’elles soient lourdes ou légères, elles produisent des fréquences plus élevées.
Les harmoniques sont produits en fonction de la manière dont le musicien pince les cordes ou y frotte son archet et des points où il joue. La corde d’un cordophone est le vibrateur primaire, mais le cordophone a ceci d’unique que c’est l’instrument lui-même, et non le vibrateur résonant, qui crée les fréquences musicales. Lorsque les vibrations de la corde se déplacent dans le corps de l’instrument, le vibrateur résonant renforce simplement ces fréquences. Le joueur ne sélectionne pas activement les tons musicaux. Le corps d’un cordophone est donc généralement irrégulier, ce qui augmente le nombre de fréquences qu’il peut faire résonner.
Les aérophones sont des instruments dans lesquels des colonnes d’air vibrantes irradient des sons. Chez les Autochtones, les sifflets et les cornes sont des aérophones courants. Mais, ici, nous présentons l’un des instruments les plus distinctifs des autochtones d’Amérique du Nord : la flûte à bloc externe. Les musicologues classent la flûte autochtone dans la catégorie des flageolets. Cette classification est due au fait que l’embouchure de la flûte se trouve à l’extrémité de l’instrument et que le musicien souffle directement dedans. (Un équivalent européen serait la flûte à bec.) Cependant, les gens appellent souvent l’instrument autochtone une flûte, alors nous ferons de même.
La flûte se compose de quatre parties importantes : la chambre à air, la chambre acoustique, le bloc extérieur (également appelé « plaque d’embouchure » ou « déflecteur ») et les trous pour les doigts. Voici la description de la manière dont le courant d’air traverse ces différentes parties.
Lorsque le musicien souffle dans l’embouchure de la flûte, le courant d’air entre d’abord dans la chambre à air, une courte section séparée de la chambre acoustique par un bouchon. Arrivé au bouchon, l’air prend le chemin de la moindre résistance : un petit trou percé dans la paroi supérieure de la chambre à air. Le courant d’air passe ensuite dans un chanfrein, qui est essentiellement une fente qui dirige l’air vers la chambre acoustique. Le chanfrein peut être une petite plaque de métal que le bloc extérieur maintient en place. Il arrive aussi que le fabricant de la flûte creuse le chanfrein directement sur la face inférieure du bloc. Le courant d’air descend le long du chanfrein, puis atteint un trou qui mène dans la chambre acoustique, qui correspond au reste du corps de la flûte. Contrairement au trou de la chambre à air, le trou menant à la chambre acoustique s’ouvre aussi légèrement vers l’air extérieur.
À ce stade, le courant d’air obéit à l’effet de Bernoulli, le principe selon lequel la pression de l’air en mouvement est moindre que celle de l’air immobile. Lorsqu’un musicien souffle dans une flûte, l’air en mouvement à basse pression génère une aspiration latérale qui perturbe l’air qui l’entoure. Nous appelons ce phénomène un effet latéral. Le courant d’air émerge du chanfrein et vient frapper l’arête de fendage, l’arête nette d’une fenêtre pratiquée dans la paroi supérieure de la chambre acoustique. L’effet de Bernoulli aspire la majeure partie de l’air vers le bas dans le tube. Cependant, l’aspiration entraîne également une partie de l’excès d’air qui se trouve au-dessus de l’arête de fendage dans le tube. Les scientifiques pensent que cette aspiration fait tourbillonner l’excès d’air à l’intérieur du tube. L’air, ainsi soumis à une pression plus forte, retourne là où la pression est plus basse, c’est-à-dire au-dessus de l’arête de fendage. Lorsque l’air atteint l’espace au-dessus de l’arête de fendage, l’aspiration continue du flux d’air le tire à nouveau vers le bas, dans le tube. On crée ainsi un ton à peu près de la même façon qu’en soufflant sur l’ouverture d’une bouteille de boisson gazeuse.
Ces phénomènes se poursuivent aussi longtemps que le musicien souffle, mais ils varient en fonction de la vitesse à laquelle l’air se déplace. Dans une flûte, les vibrations complexes de part et d’autre du bord de la fenêtre produisent une variété intéressante de sons musicaux. C’est ici que le bloc externe peut se valoir son nom alternatif de « bloc d’accord ». Si le bloc est réglable, le musicien peut le déplacer d’avant en arrière pour modifier la largeur de la fenêtre. Cela modifie les sonorités de la flûte. Une fenêtre étroite, par exemple, émet des sons plus proches d’un son pur, avec moins d’harmoniques, tandis qu’une fenêtre large permet d’obtenir des sons plus riches et plus variés. De plus, la façon dont le fabricant forme le canal dans le conduit influe sur le nombre d’harmoniques que l’instrument peut produire.
Les trous pour les doigts le long du corps de la flûte contribuent également à la variété tonale. Lorsque le musicien recouvre tous les trous pour les doigts, l’onde à l’intérieur du tube doit descendre tout le tube avant de pouvoir sortir par l’extrémité. Ceci produit le son le plus bas possible, qui correspond ainsi à la fréquence fondamentale. Si le joueur commence à découvrir les trous, la trajectoire de l’air se raccourcit et la fréquence augmente, ce qui provoque l’accroissement progressif de la hauteur tonale.
Les artisans confectionnent une grande variété de flûtes, chacune dotée de ses propres sons. On mesure traditionnellement les flûtes amérindiennes du bout de l’index jusqu’au coude. Ainsi, elles font en moyenne 50 centimètres. Les flûtes longues et larges produisent des gammes plus graves. De plus, l’espacement et la taille des trous pour les doigts affectent la hauteur et le timbre des sons. Les cultures autochtones n’ont pas établi de normes fixes, mais leur objectif ultime est de créer des flûtes qui produisent un tremblement (ou trémolo) sonore agréable. Les autochtones préfèrent cette qualité, surtout dans les notes les plus graves produites par l’instrument.
Les membranophones sont des tambours, des instruments de percussion pour lesquels on a étiré une peau d’animal (membrane) sur un cadre en bois, ou même sur un trou dans le sol. Les vibrations d’une membrane sont beaucoup plus complexes que celles des cordes ou des colonnes d’air. Alors que ces deux dernières sont des médiums unidimensionnels, la membrane est bidimensionnelle. Par conséquent, ses vibrations agissent de manières différentes.
À certains égards, une membrane de tambour est comme une corde large. La membrane n’a pas deux nœuds fixes. Au lieu de cela, l’ensemble du cadre fournit la tension. Comme dans le cas d’une corde, les fréquences de la membrane augmentent à mesure que la tension augmente (lorsque la membrane se resserre sur le cadre). De même, les fréquences sont plus basses, si l’artisan utilise des membranes plus épaisses et plus lourdes. Lorsque le batteur frappe la membrane, celle-ci vibre dans tous ses modes à la fois. Le tambour a aussi des points qui ne vibrent pas, mais comme la membrane est bidimensionnelle, ces nœuds deviennent des lignes nodales. En l’absence de points uniques, la ligne la plus exempte de vibrations forme un anneau à l’endroit où la membrane se raccorde au cadre.
Cependant, les ressemblances s’arrêtent à peu près là. La membrane peut vibrer de deux manières différentes : les lignes nodales peuvent être des cercles (modes radiaux), mais elles peuvent aussi être les diamètres d’un cercle (modes azimutaux). Cela engendre des modes vibratoires radicalement différents, qui agissent tous en même temps lorsque la membrane entière se meut en phase. Ces vibrations simultanées déplacent beaucoup d’air. Par conséquent, l’énergie sonore de la membrane se propage avec force. De plus, la membrane assourdit beaucoup le son. Ainsi, les sons se dégradent rapidement. Les cordes, en revanche, peuvent vibrer longtemps.
Comme les différentes vibrations de la membrane sont souvent en compétition les unes avec les autres, les formes d’ondes varient d’un cycle à l’autre. Les batteurs peuvent tirer profit de ce phénomène en frappant la membrane à différents endroits de sa surface pour produire différents types de sons. L’effet est similaire à celui qu’on obtient en pinçant une corde à différents endroits. Dans les deux cas, cela affecte le type de sons que les instruments produiront.
Contrairement à la corde, cependant, le tambour recèle une plus grande variété de vibrations. En fait, une membrane idéale peut avoir jusqu’à douze modes vibratoires. Cela nécessiterait une membrane exactement égale en épaisseur et en densité. Cependant, en réalité, les membranes varient considérablement et elles produisent des tons complexes et non périodiques. Pour cette raison, de nombreux tambours ne semblent pas être conçus pour privilégier une hauteur particulière. Cependant, certains fabricants de tambours ont appris comment obtenir une hauteur exacte. Ils peuvent, par exemple, façonner soigneusement la cavité d’air fermée (timbales), ou appliquer habilement des couches de pâte noire sur la membrane, comme on le fait en Inde avec le tabla.
Même si le tambour est un instrument percussif plutôt que mélodieux, il offre un éventail de sonorités beaucoup plus large que l’idiophone de base. Ainsi, certains chanteurs autochtones chantent, inconsciemment ou consciemment, en accord avec le ton d’un tambour en particulier.
Pour obtenir ces variétés tonales, l’artisan doit confectionner un tambour dont les impulsions sonores seront fortes, puissantes et résonantes. Le cadre du tambour est un résonateur crucial. Comme les cordes d’une guitare ou d’un violon, la membrane elle-même produit peu de son. Les condensations d’air de l’onde sonore d’un côté de la membrane correspondent aux raréfactions qui surviennent de l’autre côté. Ces phases opposées s’annulent simultanément. Cependant, une fois que l’artisan fixe la membrane au cadre, l’onde sonore provenant de la face inférieure ne peut plus interagir avec l’onde sonore provenant de la face supérieure et l’annuler. La cavité d’air fermée, aussi peu profonde soit-elle, assure la séparation nécessaire entre les deux côtés de la membrane et augmente sa capacité de rayonnement. De plus, si le tambour est fermé des deux côtés (exemple : tambour à double tête), il présentera des caractéristiques vibratoires uniques. La fermeture de l’espace aérien abaisse généralement une partie des partiels. C’est pourquoi les tambours de pow-wows sont devenus plus grands. La double tête et l’agrandissement de l’espace aérien produisent un son plus plein, plus résonant et plus grave.
En plus d’utiliser ces variations naturelles, les musiciens autochtones ont appris à ajuster un tambour fini pour conserver les tons profonds et résonants qu’ils désirent. La tension et l’épaisseur (poids) de la membrane déterminent la fréquence propre à laquelle elle vibre, mais d’autres variables influent également sur la façon dont elle sonne. Le problème réside dans le fait que la température et l’humidité étirent ou rétrécissent la membrane, ce qui modifie sa hauteur tonale. Par temps frais et humide, la peau devient « molle », tout comme la hauteur tonale qu’elle produit. Le temps chaud et sec étire la peau. Elle devient trop serrée. Elle rend alors un « son de casserole » aigu.
Pour compenser ces effets, le batteur réchauffe ou refroidit la membrane du tambour avant de jouer. Si la peau est mouillée et molle, le batteur tient le tambour au-dessus d’un feu ou il utilise un appareil de chauffage ou un sèche-cheveux, ce qui contracte les pores de la membrane. Si la peau est sèche et tendue, le batteur projette des gouttes d’eau pour ramollir la peau et abaisser la hauteur tonale.
Les musiciens autochtones ont d’autres techniques pour améliorer le ton de base. Souvent, le batteur relâche ou resserre les timbres qui s’étirent au-dessus ou en dessous de la membrane. Ces timbres sont généralement fabriqués à partir de lanières de cuir ou de boyaux torsadés. Lorsque le musicien frappe la peau du tambour, ces timbres vibrent contre la membrane, produisant un bourdonnement environ une octave plus basse que le son de la seule peau du tambour. De plus, pour obtenir des effets sonores encore plus importants, les artisans insèrent parfois de petits os, des bâtons ou des plumes dans les timbres. Tout comme dans le cas des instruments à cordes, ces timbres ont des qualités harmoniques qui, combinées à la gamme sonore complète du tambour, créent un paysage sonore riche et fluide qui change à chaque coup.